DE L'OPIUM
L'opium est, sans contredit, le plus précieux des médicaments, il est digne, à bien des titres, de fixer l'attention des savants et des praticiens, Il présente les études les plus curieuses, sous le rapport de son antiquité, de son origine, des travaux dont il est l'objet, de l'usage et de l'abus qu'on en peut faire. Tels sont les divers points de vue sous lesquels nous nous proposons de considérer l'opium, autant du moins que nous le permettra la nature de ce travail, ainsi que les bornes dans lesquelles nous devons nécessairement nous renfermer ici.
L'antiquité de l'opium est constatée par la mythologie, avant de l'être par l'histoire. Le pavot dont il est le produit fût dès les temps les plus reculés, l'emblème du sommeil. Les Grecs, si féconds en allégories ingénieuses, ornaient de pavots les temples de ce dieu. Ils aimaient à le représenter sur les pas de la Nuit, sa mère, secouant ses pavots sur le monde, pour soulager les fatigues, et même endormir les douleurs.
Le Népenthès d'Homère, cette plante qu'Hélène avait reçue de Polydamna, femme de Thonis, roi d'Égyte, et dont elle se servit pour charmer la mélancolie de ses hôtes, et en particulier du jeune Télémaque, qu'est-ce autre chose que le sucre bienfaisant du pavot déjà recueilli et mis en œuvre par la savante industrie des Égyptiens?
Si, de la fable nous passons à l'histoire, nous voyons, au V siècle avant Jésus-Christ, le père de la médecine, Hippocrate, faire très-souvent mention de l'opium et de son emploi.
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Erasistrate, 257 avant Jésus-Christ, en signale les propriétés puissantes, et déjà, par lui, reconnues dangereuses.
Dioscoride, de Cilicie, et Pline, le naturaliste, au premier siècle de notre ère, parle longuement de l'origine de l'opium et de la manière de l'obtenir,
Galien, le disciple fidèle du Vieillard de Cos donne, comme son maître, de grands éloges à l'opium, dont Alexandre de Tralles, 527 avant Jésus-Christ, fait connaître les abus; tandis que, après lui, Andromaque, 807 après Jésus-Christ, dans un poème intitulé yaynvn, chante ses propriétés, et donne les moyens d'en modifier l'action.
Mais, nous touchons à l'époque où va grandir la réputation de l'opium, et s'étendre son influence.
En 850, le Galien des Arabes, Rhazès, et, en 980, le persan Avicenne, médecin philosophe, en popularisent l'emploi.
En 1494, Paracelse l'applique au traitement dés maladies aiguës.
En 1561, nous trouvons dans Valerius Cordus, cette phrase relative à l'opium : « Opium nigri papaveris liquor est, ex scarificato ejus vasculo emanans, colore primum lacteus et consistentia liquidus, collectus flaves-cit atque exsiccatur, »
En 1565, Matthiole fait de l'opium une mention spéciale, dans ses commentaires sur Dioscoride.
Depuis cette époque, l'opium, désormais acquis à la pratique et à la science, tient une grande place dans les préoccupations, comme dans les écrits des naturalistes et des médecins les plus distingués. Il a ses partisans et ses détracteurs; mais l'indifférence ne semble pas permise à son égard.
Impossible de tout citer; nommons seulement Abraham de la Framboisière,, Pierre Pomet, Lemery, Kœmpfer, Belon, Tournefort, Geoffroy, dont les recherches et les observations préludaient utilement aux intelligents travaux depuis accomplis, jusqu'à notre époque, partant d'hommes distingués, et, en particulier, à l'excellent ouvrage du savant et modeste Guibourt, notre honorable et regretté maître.
L'origine de l'opium n'est pas contestée; on sait qu'il est extrait de la tête du pavot.
Le pavot est une plante de la famille des Papavéracées, du genre Papaver. Parmi les variétés qu'il présente, nous avons en vue surtout le papaver somniferum, objet spécial de cette étude, Nous ne pouvons mieux faire que de citer ici la description qu'en donne Guibourt :
« C'est une plante annuelle, haute de 1 a 2 mètres, doni la tige est ronde, lisse, ramifiée à la partie supérieure, et munie de feuilles amplexicaules oblongues, ondulées, irrégulièrement divisées en lobes, dont les dents sont obtuses.
Les fleurs soni solitaires a l’extrémité de la tige et des rameaux. Elles sont penchées, tant qu'elles sont renfermées daus leur calice diphylle; mais elles se relèventen s'épanouissant. Les pétales sont d'une belle couleur blanche, grands, étalés, orbiculaires, avec un onglet très court, complétement laciniés et doublés par la culture. La capsule est ovoide, complétement indéhiscente, d'abord verte et succulente, puis sèche, blanchàtre et très-légère. Elle est séparée par un stipe court d'un bourrelet formé par le torus qui portait les étamines, et couronnée par un disque sessile assez étroit, offrant de dix a dix-huit rayons étalés, dont les extrémités sont moins élevées que le centre. Les dimensions de ces capsules sont très variables, les plus ordinaires ayant de 8 centimètres de longueur sur 5 centimètres de diametre, et d'autres acquérant 11 centimètres sur 7. A l'intérieur, les capsules sont spongieuses, très-blanches, et présentent des trophospermes pariétaux, sous forme de lames longitudinales, régulièrement espacées, minces, jaunàtres, et dont chacun répond a un des stigmates linéaires du disque rayonné. Ces trophospermes portent un nombre considérable de semences très-petites, réniformes, d'un bleu jaunàtre, translucides, dont la surface est marquée d'un réseau proéminent. »
Ajoutons que cette espèce exhale une odeur vireuse très-prononcée.
Linné a trouvé qu'une forte tête de pavot pouvait contenir trente-deux mille graines; et, comme un pied donne un certain nombre de têtes, on a calculé que, au bout de peu d'années, si toutes les semences produisaient, la descendance d'une seule plante couvrirait la surface de la terre.
La culture du pavot et l'extraction de l'opium présentent des détails extrèmement curieux.
Tous les terrains ne paraissent pas également favorables au pavot. Mème on a pu croire longtemps qu'il était comme la propriété speciale de certains pays privilégiés. C'est ainsi que, au temps de Pline, le pavot n'était connu qu'en Asie mineure, en Perse, dans l'Inde et dans l'Afrique.
Depuis cette époque, sa culture s'est considérablement étendue; et, aujourd'hui, on le séme sur de très vastes espaces, non seulement en Asie (Inde, Perse, Anatolie) et en Égypte, mais aussi en Algerie, en Italie, en Allemagne, en Angleterre, en Belgique, et dans un grand nombre de départements du nord de la France.
Quant aux procédés de culture, ils varient nécessairement, suivant la nature du terrain, des lieux et des temps.
La trop grande humidité ne convient pas au pavot, surtout pour les semis faits avant l'hiver : car, en se congelant, l'eau déchire et mutile les semences.
Les terrains secs. et qu'on peut arroser artifìciellement, sont plus propres a cette culture. L'irrigation est convenable, pendant le labourage, comme pendant et après l'ensemencement. Toutefois, il importe que l'eau puisse étre facilement absorbée. Aussi les terres légères et sablonneuses sont-elles préférables aux terres dures et fortes. Celles-ci compriment les racines et les empèchent de se développer.
On a remarqué que les terres de couleur rouge présentent des conditions très-favorables.
Lorsqu'une terre de plaine ou de montagne, déjà fumèe, est destinée a la culture du pavot, on la laisse au repos pendant une année, en lui donnant deux labours au commencement du premier printemps, et un troisième labour au printemps suivant; après quoi, on procède aux semailles.
Ce travail fait, on égalise la surface du terrain, en laissant subsister toutefois le fond des sillons, où les jeunes pousses sont à l'abri des derniers froids.
Il existe, nous l'avons dit, plusieurs variétés de pavots,
Fayk-Bey en cite six, M. Gaultier de Claubry, dans une note sur la culture de l'opium, en Arménie, en cite quatre, qu'il distingue par leurs couleurs : blanche, jaune, noire et bleu de ciel. Ces semences produisent des fleurs différemment colorées. Les blanches donnent des fleurs d'un blanc de lis; les jaunes donnent des fleurs rouges; les noires des fleurs noires; et celles qui sont bleu de ciel donnent des fleurs d'un pourpre foncé assez vif.
Les graines blanches, ou bleu de ciel, produisent.de grosses capsules un peu oblongues, de la forme, d'un citron. Les graines jaunes, ou noires, produisent de petites têtes rondes.
Les graines blanches sont très-oléagineuses; les jaunes fournissent un suc abondant; celui des noires a beaucoup de poids.
Les graines jaunes et les noires se sèment, autant que possible, au commencement d'avril; les blanches et les bleu de ciel, à la fin de septembre, ou à partir de janvier jusqu'au mois de mars.
L'ensemencement se fait à grande volée; .les graines sont mélangées de sable ou de terre légère pour en faciliter la division.
Ce genre de culture demande des soins et un entretien tout particuliers. Aussi, les cultivateurs sèment-ils le pavot à proximité de leur habitation, afin de pouvoir observer souvent leurs champs et y travailler à leur aise.
Les semis faits à l'automne ont, en mars, la grandeur d'une laitue. A
cette époque,
les cultivateurs sarclent les mauvaises herbes autour des
plantes, qu'ils prennent
bien garde d'endommager. On sarcle une
deuxième, puis une troisième fois, suivant
le besoin ; et, si les tiges sont
trop serrées, on arrache les plus faibles, laissant
entre celles qui restent
une distance de 30 à 35 centimètres. Après chaque sarclage,
on doit
arroser le terrain, s'il en est besoin, et cela jusqu'à l'époque de la flo
raison.
Les produits de semis d'automne ou de printemps parviennent successivement à la hauteur de 1 mètre; et un seul pied fournit quelquefois jusqu a trente-cinq têtes. Dans ce cas, on leur donne un tuteur
Les gelées d'hiver, les gelées blanches du printemps et les brouillards sont très-nuisibles, lors surtout que succède immédiatement l'action du soleil, qui brûle les jeunes pousses, et les rend improductives
Selon M Gaultier de Claubry, un hiver neigeux et un printemps mo
dérément pluvieux
sont les conditions les plus favorables au développe-
ment des pavots.
C'est après vingt ou vingt-cinq jours, à partir de la fin de juin jusqu'à la mi-août, que la capsule, qui succède à la fleur, arrive à parfaite maturité, et permet d'extraire l'opium.
Ce point précis de maturité se reconnaît aux folioles, qui jaunissent et aux capsules qui, d'abord d'un beau vert velouté, prennent alors un ton fauve. Du reste, si d'une capsule incisée, le suc ne sort pas ou s'il s'écoule trop facilement, ou s'il est noir, il faut attendre, et ne pratiquer les incisions que lorsque le suc sort laiteux et épais,
II est important de ne pas dépasser le point de maturité; autrement
les capsules se
dessèchent, et il n'en sort plus rien.
Le moment venu de faire l'incision, l'ouvrier entre dans le champ au point du jour; .et, tourné vers l'est, il incise la capsule, à partir de la première extrémité du champ, reculant toujours, pour que le suc qui découle ne soit pas essuyé par ses habits. La partie incisée doit rester exposée au soleil. Cette position de l'ouvrier, vers l'est, dure jusqu'à midi. Passé ce temps, il se tourne vers l'ouest et continue son opération de la même manière.
L'incision doit se faire attentivement, avec les précautions connues.
Le suc s'écoule en larmes blanches que la chaleur du soleil épaissit
et qui se colorent
d'une teinte rougeâtre.
L'instrument dont on se sert est à une ou plusieurs lames parallèles
et disposées
de manière à opérer avec précision. ?
L'incision doit être superficielle, et ne jamais traverser la capsule
autrement,
le suc serait perdu, s'écoulant dans l'intérieur.
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Des divers modes d'opérer, le plus rationnel est de diriger l'incision un peu obliquement, en spirale, de haut en bas. On blesse ainsi tous les vaisseaux laticifères, et le liquide exsudé se réunit, en une seule goutte, au bas de la plaie.
Le lendemain de l'incision, l'ouvrier rentre dans le champ, et passe légèrement un couteau, à lame plate, sur les incisions de la veille, afin d'en recueillir le suc, qu'il dépose ensuite sur une feuille de pavot ou d'un autre végétal. Cette feuille sert d'enveloppe au produit.
Les feuilles employées à cet effet ne doivent être ni trop vertes, ni trop sèches : dans le premier cas, elles noircissent l'opium; elles se brisent, dans le second.
La récolte des larmes se fait par un beau temps, et, lorsqu'elles ont perdu leur fluidité première. On se garde bien de la pratiquer par un temps de brouillard.
Ces larmes sont rouges, dentelées, et forment l'opium de la famille (Kez-afiun), le plus pur et le plus estimé. Les pays sans brouillard, comme Emide et Gniriz, donnent le meilleur.
Quand l'ouvrier est peu consciencieux, il ajoute au poids de l'opium, en grattant la superficie de la capsule, de manière à enlever des raclures qu'il mêle adroitement au suc, en malaxant le tout, entre ses doigts, avec un peu de salive.
Les émanations auxquelles sont soumis les ouvriers pendant cette récolte leur cause un assoupissement et une -véritable ivresse, contre laquelle ils ne parviennent à lutter qu'au moyen d'un oignon coupé en deux, qu'ils font séjourner sur leur front, et dont ils respirent l'odeur dé temps en temps.
Ces émanations narcotiques imprègnent facilement les vêtements, et chargent bientôt ceux des femmes nourrices, au point que l'enfant tombe dans un sommeil qui leur permet de continuer leur travail.
Les anciens distinguaient deux sortes d'opium; l'un, extrait, par incision, était l'opium proprement dit (tmiov de omis, suc); l'autre, beaucoup plus faible, obtenu par la contusion et l'expression des capsules et des feuilles de la plante, s'appelait meconium.
Beaucoup d'auteurs modernes ont prétendu qu'on n'en préparait plus de la première sorte, et que notre opium n'est que le méconium. D'autres, en admettant que l'on prépare encore de l'opium par incision, pensent que cet opium est entièrement consommé par les riches du pays, et que, par conséquent, nous n'avons toujours que le méconium des anciens.
Quoiqu'il en soit, les auteurs les plus recommandables s'accordent à dire que l'opium du commerce est obtenu par incision. Seulement, trois de ces auteurs, Dioscoride, Kœmpfer et M. Texier, font piler ou malaxer l'opium, ce qui doit en former une masse homogène; tandis que, Olivier, et Belon surtout font sécher le suc directement, puisque ce dernier décrit l'opium comme formé par l'assemblage de petites larmes recueillies sur les capsules.
Nous avons cité un certain mode de récolte, parce qu'il nous paraît avoir un caractère remarquable; mais chaque pays modifie nécessairement ses procédés. De là, les conditions diverses sous lesquelles se présente l'opium du commerce. Aussi 'avons-nous à distinguer les opiums du Levant et les opiums de l'Inde, auxquels il est permis d'ajouter aujourd'hui les opiums indigènes,
Ceux du Levant comprennent les quatre variétés suivantes :
Opium de Smyrne ou du Levant;
de Constantinople, ou de Turquie;
de Thèbes, d'Alexandrie ou d'Egypte;
de Perse,
Ceux de l'Inde sont :
Opium de Malwa;
de Patna, ou de Bénarès, ou du Bengale,
De tous ces opiums, ceux qu'il importe le plus de savoir distinguer, à raison de leur valeur bien différente en morphine et en propriétés médicales, ce sont les opiums de Smyrne, de Constantinople et d'Egypte.
L’opium de Smyrne est l'opium officinal du Codex français.
Il est en pains de 100 à 430 grammes, enveloppés d'une feuille de pavot et roulés dans des semences de rumex, Mais ces pains, en raison de leur mollesse, sont toujours déformés et souvent soudés plusieurs ensemble, Cet opium, tel qu'il arrive, est encore mou et retient 15 à 17 pour 100 d'eau. Quand on le déchire avec précaution, il paraît formé de petites larmes fauves agglutinées. Gardé dans un lieu sec, et durci jusqu'au centre, il présente une cassure brune, nette, luisante, et retient encore 8 pour 100 d'eau. Il conserve l'odeur forte, vireuse, toute spéciale,.qui caractérise le bon opium; il a une saveur acre et amère.
L'opium de Smyrne doit contenir, à l'état mou, 10 pour 100 de morphine, et 11 à 12, quand il a été durci à l'air, (Codex.)
L'opium de Constantinople est tantôt en gros pains, tantôt en petits
pains. '
Les gros pains, du poids de 250 à 350 grammes, sont d'abord globuleux; mais, dans la suite, ils deviennent carrés ou coniques, en se tassant réciproquement. Ils sont entourés d'une feuille de pavot et recouverts de semences de rumex. Ces pains ne se soudent pas entre eux. A l'intérieur, ils sont formés de petites larmes agglutinées, de couleur plus foncée que l'opium de Smyrne; quelquefois pures, mais, bien souvent, surtout dans les gros pains, mélangées de raclures de pavots.
Cet opium se rapproche de celui de Smyrne, et souvent les commerçants l'achètent et le vendent sous ce nom.
Les petits pains sont aplatis, assez réguliers, du poids de 80 à 90 grammes. Chacun d'eux est enveloppé d'une feuille de pavot, de telle sorte qu'il semble partagé en deux par la nervure médiane de la feuille. Cet opium a la même odeur que le précédent, mais il est plus mucilagineux et contient moins de morphine.
Guibourt a analysé 8 échantillons d'opium, envoyés par Della-Sudda
à l'Exposition
de Paris, 1855; il n'a jamais trouvé moins de 12 pour 100
de morphine, ;
Voici les quantités moyennes de morphine obtenues de ces huit échantillons pris à trois états d'hydratation différents :
Opium de.Turquie à l'état mou, dur, sec,
• Proportions de morphine pour 100 12.33 13.58 14,78
L'opium d'Egypte se reconnaît à ses pains orbiculaires, aplatis, larges de 8 centimètres environ, réguliers, très-propres à l'extérieur, et paraissant avoir été roulés dans des feuilles dont il ne reste plus que des vestiges.
Cet opium se distingue de celui de Smyrne par sa couleur rousse permanente, analogue à celle de l'aloès hépatique; par une odeur moins forte, mêlée d'odeur de moisi, parce qu'il se ramollit à l'air, au lieu de s'y dessécher, ce qui lui donne une surface luisante et un peu poisseuse sous les doigts ; enfin, parce qu'il est formé d'une pâte unie et non grenue.
Il renferme moins de morphine que les précédents. C'était anciennement le plus estimé. L'infériorité qu'il a maintenant résulte d'une mauvaise culture et d'un mode de récolte vicieux, Des essais nouveaux, faits sous la direction de M. Gatinel permettent d'espérer que sa réputation se rétablira, et qu'il reprendra la place qu'il a perdue.
L'opium de Perse est en bâtons de 20 centimètres de longueur environ, cylindriques, ou devenus carrés par la pression. Chaque bâton pèse 20 grammes, et est enveloppé d'un papier lustré, maintenu par un fil de coton. Cet opium est de couleur hépatique ; il se ramollit à l'air humide et devient légèrement poisseux. Son odeur, comme celle de l'opium d'Egypte, est vireuse et mêlée d'odeur de moisi. Sa saveur est amère; sa texture est celle d'une pâte fine, uniforme, dans laquelle on peut encore reconnaître des larmes primitives, mais d'une manière moins nette que dans l'opium de Smyrne. On a remarqué qu'il ne renfermait pas de sulfates et qu'il contenait tout au plus 1 pour 100 de morphine.
Il ne parvient pas au commerce européen ; il est entièrement consommé dans les villes de Perse.
L'opium de l'Inde, d'après Guibourt et Pereira, comprend trois sortes d'opiums : ceux de Malwa, de Patnà et de Bénarès. Les deux derniers sont confondus sous le nom d'opium du Bengale.
L'opium de Muhva paraît se rapprocher de celui de Perse, par sa nature et sa préparation. Il est en masses uniformes, ovales, allongées, aplaties, pesant moins de 30 grammes; l'extérieur est propre, sans feuilles ni semences; l'intérieur est brun noirâtre, assez mou et luisant. On y trouve de 5.50 à 8.25 pour 100 de morphine.
L'opium de Patna ou de Bénarès se trouve en masses sphériques du
poids de 1,500 à
2,000 grammes, renfermées dans une enveloppe solide,
épaisse d'un centimètre, formée,
de pétales de pavot. A l'intérieur, la
masse est molle, d'un brun foncé, possédant
une odeur et un goût forts et
purs d'opium.
Ces opiums contiennent des proportions de morphine moitié moindres que celui de Smyrne. Cependant, des opiums de Patna, obtenus dans des circonstances spéciales, ont fourni jusqu'à 10.3 pour 100 de morphine,
L’opium Indigène, bien qu'il ne soit pas encore répandu dans le commerce, n'est pas, assurément sans avenir, et mérite l'attention de la science.
C'est Belon qui a conseillé le premier de préparer en Europe, et spécialement en France, de l'opium, en employant le procédé suivi en Anatolie. .
La culture de l'opium fut successivement tentée, comme par entraînement, sur un grand nombre de points. Ceux qui s'en sont le plus occupés sont : MM. Cowley et Staines, en Angleterre, qui recueillirent jusqu'à 96 kilogr. d'un opium, qui donna à l'analyse 5,57 pour 1.00 de morphine.
En 1826, M. Petit, pharmacien à Corbeil, prépara un opium indigène,
qui renfermait
16 à 18 p. 100 de morphine, comme le meilleur opium
de Smyrne.
Le général Lamarque, à Eyrès, dans le département des Landes, a récolté un opium contenant 10,2 p. 100 de morphine, mais sans narcotine, ce gui est digne de remarque.
Des essais importants furent entrepris en Algérie, vers 1843, par MM. Hardy et Simon.
M. Simon eut l'idée de renfermer dans des capsules de pavots vides, l'opium qu'il recueillait à Alger; il voulait lui donner ainsi une forme commerciale caractéristique. Cet opium renfermait jusqu'à 10,75 p, 100 de morphine. Mais cette quantité d'alcaloïde ne se soutint pas, les années suivantes; elle descendit jusqu'à 3,74 p. 100,
Cette diminution de morphine, qui parut inquiéter les cultivateurs, semble un fait général à la culture du pavot. Cette plante, toutes choses égales d'ailleurs, rend, dit-on, d'autant moins d'opium, et, par suite, de morphine, qu'elle a été plus longtemps cultivée dans le même terrain.
Mais c'est M. Aubergier qui s'est occupé, avec le plus de constance et de succès, de la culture du pavot et de la fabrication de l'opium. Après de nombreux essais., sur différentes variétés de pavois, il s'est arrêté au pavot pourpre, qui fournit un opium contenant de 10 à 14 p. 100 de morphine. Il met en pratique le procédé des incisions multiples; au lieu de laisser le suc se dessécher sur les capsules, exposé à la poussière et à toutes les intempéries de l'atmosphère, il préfère le faire enlever immédiatement.
L'ouvrière qui fait les incisions est suivie à quelques minutes de dis
tance, par
une autre, qui en recueille le produit. Ce suc est exposé au
soleil jusqu'à complète
dessiccation. Ce procédé abaisserait du tiers le prix
de main-d'œuvre. "(M, bouchardat.)
Le commerce de l'opium a pour centres principaux Smyrne et Constantinople. C'est là, que se tiennent les marchés où s'approvisionnent, presque exclusivement, les négociants européens. L'opium y arrive dans des caisses particulières, appelées couffes; on les double de fer-blanc, quand on veut les exporter.
Constantinople n'a pas d'entrepôt ni de marché public consacrés spécialement à l'opium. Cette vente s'y fait moins en grand; et, avec le nombre de marchands, se multiplient les modes de falsifications, que chacun pratique, à sa manière, avec la plus grande habileté. Tous les produits de l'Anatolie, de la Bythinie, en un mot de l'Asie-Mineure, sont dirigés sur Smyrne. Là, les transactions dans les marchés publics se font très-arbitrairement.
Les experts n'ont pas d'autres moyens d'appréciation que l'aspect des produits. Ils ne souffrent aucune observation, ni du vendeur ni de l'acheteur. Ils sont munis d'un couteau, avec lequel ils scrutent minutieusement les pains, acceptant les uns, rejetant les autres, coupant par le-milieu, ceux qui leur paraissent douteux.
Puis chaque acquéreur, à son tour, fait un autre triage fondé sur l'analyse, et envoie, selon la convenance, une partie de son opium en Occident ; et l'autre, dans l'extrême Orient.
Les falsifications de l'opium sont nombreuses. Indépendamment des raclures de pavot, desquelles nous avons parlé, on y fait entrer les substances les plus diverses, dans le but d'en augmenter le poids.
Les fraudeurs raffinés, que l'analyse est venue dérouter, se contentent d'y ajouter de l'eau; et, du jour au lendemain, sans rien changer à l'aspect de l'opium, ils obtiennent facilement 10 et même 12 pour 100 de plus, en poids.
L'addition du jaune d'œuf est généralement usitée dans certaines circonscriptions. Ce mélange avive la couleur jaune naturelle à l'opium, sans presque en altérer, la couleur : seulement l'odeur est moins pénétrante. L'opium, ainsi falsifié, ne se dessèche jamais assez pour être pulvérisé. Il se coupe facilement en tranches, dont les surfaces exposées à l'air, se recouvrent, au bout de quelques jours, d'une couche blanche pulvérulente.
L'éther en sépare un corps gras abondant.
Landerer nous signale deux falsifications : l'une avec des raisins fine
ment écrasés
; l'autre, avec du salep et des raisins que l'on incorpore a de
l'opium de mauvaise
qualité. Ce produit est cassant; la teinture d'iode y
décèle la présence dela fécule
du salep.