M. Bouchardat cite un exemple de fraude faite en Angleterre avec des résidus d'opium que, après l'extraction delà morphine, on avait mélangés avec du suc de réglisse, des débris de bon opium, et des semences de rumx. La masse, divisée en pains, était recouverte de semences de ru-mex, et de feuilles de pavot.
Toutes ces opérations frauduleuses sont d'autant plus regrettables que l'opium est un médicament sur l'action duquel le médecin doit pouvoir compter. On conçoit la nécessité absolue où se trouve le pharmacien d'examiner, avec l'attention la plus scrupuleuse, une substance de laquelle dépend souvent la vie d'un malade.
Il importe donc de consigner ici les caractères à l'aide desquels il est possible d'apprécier de prime abord la plus ou moins bonne qualité d'un opium, c'est-à-dire son degré de pureté. Nous indiquerons plus loin comment on détermine sa richesse en morphine.
Un bon opium doit avoir l'odeur sui generis; sa cassure doit présenter des larmes blondes, comme celui de Smyrne, ou une masse homogène, sans débris de plantes, comme celui d'Egypte. Il doit brûler, avec une flamme claire, sans laisser sensiblement de résidu.
D'après M. Berthemot : « l'opium de bonne nature, mélangé à l'eau froide, doit complètement se diviser; son principe extractif, se dissoudre, et la partie résinoïde se séparer,
La liqueur, d'abord trouble, doit s'éclaircir promptement par le repos, en prenant une couleur brune plus ou moins foncée, suivant la quantité de matière extractive que contient l'opium, et en tenant compte toutefois de la quantité d'eau employée. La solution filtrée, acide au papier de tournesol, doit donner : avec les sels de peroxyde de fer, une coloration très-prononcée en rouge vineux (méconate de fer); avee le chlorure de calcium, un abondant précipité blanc sale, formé de méconate de chaux; avec l’amoniaque distillée goutte à goutte, un précipité grenu, abondant, de morphine brute mélangée de résine, de narcotine et d'une petite quantité de méconate de chaux. La liqueur qui surnage le précipité de méconate et de sulfate de chaux, étant filtrée et évaporée, doit se prendre en masse cristalline, grenue, de chlorhydrate de morphine; de plus, la solution aqueuse d'opium se mêle à l'alcool, sans produire de dépôt, »
La composition de l'opium est des plus compliquées.
En réunissant les travaux des chimistes qui s'en sont occupés à plusieurs reprises, tels que Derosne Séguin, Sertuerner, Robiquet, Pelletier, Couerbe, etc., on ne le trouve pas composé de moins d'une vingtaine de principes, dont six cristallisables, azotés, et plus ou moins alcalins, ont reçu les noms de Morphine, Codéine, Thébaïne ou Paramorphine, Papa-vérine, Narcotine et Nareéine; ou autre non azoté, également eristalli-sable, nommé Méconine; deux acides, le méconique et l'acétique; une huile fixe, une huile volatile, une résine, du caoutchouc, de la gomme, du glucose, des sulfates de potasse et de chaux, etc.
Nous n'avons pas l'intention d'étudier ici toutes ces substances. Nous nous bornerons à donner les caractères des principaux alcaloïdes de l'opium, avec Je résultat des expériences de M. Claude Bernard sur leurs propriétés physiologiques.
La Morphine, découverte en 1816 par Sertuerner, avait déjà été isolée par Séguin en 1804.
M. Bussy, le premier, a signalé la présence de l'azote dans la Morphine.
Elle se présente sous forme de pondre blanche ou cristallisée en prismes incolores. Elle est peu soluble dans l'eau et dans l'alcool, insoluble dans l'éther, soluble dans l'alcool amylique et dans l'acide acétique.
L'acide azotique étendu n'a pas d'action sur l'a Morphine; l'acide concentré produit une coloration rouge-jaunâtre. Les sels de fer au maximum donnent une belle coloration bleue. Pour que cette coloration se produise, il faut employer des sels de fer très-peu acides, car les acides libres font disparaître la couleur.
La Morphine réduit l'acide iodique; mais la réaction ne se produit pas si les liqueurs sont étendues. Pour mieux constater l'iode on met, avec la morphine, de l'empois d'amidon; puis on ajoute l'acide iodique; il se produit 'aussitôt la coloration bleue d'iodure d'amidon,
La Narcotine ou Sel de Derosne qui l'a découverte en 1802, présente moins d'intérêt que la Morphine; elle est peu vénéneuse; elle est insoluble dans l'eau ; elle n'agit pas sur les couleurs végétales, Humectée avec de l'acide azotique fumant, la narcotinese colore en rouge, se boursouffle, dégage d'abondantes vapeurs rutilantes; elle peut même s'enflammer.
La Narcêine, découverte par Pelletier !\ 832), forme de fines aiguilles
soyeuses,
peu solubles dans l'eau, solubles dans l'alcool, insolubles dans
l'éther. . -
Elle fond à 92 degrés et se colore en jaune à 110.
L'acide sulfurique dissout la narcéine à froid en donnant une liqueur rouge, qui, chauffée, passe au vert. Au contact de l'iode, elle donne une coloration bleue qui se détruit par la chaleur et par les alcalis.
La Thébaine, ou Paramorphine (découverte par Couerbe et Pelletier), est le plus toxique des alcaloïdes de l'opium. L'acide azotique concentré l'attaque à froid en formant une solution jaune qui se fonce par une addition de potasse et dégage un produit volatil à réaction alcaline.
La Papavérine, découverte par M. Merels (1850), est insoluble dans l'eau ; elle se colore en bleu foncé par l'acide sulfurique concentré.
La Codéine, découverte par Robiquet (1833), est soluble dans l'eau, 1*alcool, l'éther. Elle ne se colore pas par l'acide azotique,
M. Claude Bernard a reconnu à ces alcaloïdes des propriétés différentes, et il les a classés d'après leurs propriétés soporifiques, toxiques ou excitantes.
La Narcêine, la Morphine et la Codéine possèdent des propriétés soporifiques; les
autres alcaloïdes sont dépourvus de cette propriété et
peuvent contrarier ou modifier
l'effet des premières; chacune d'elles
fait dormir à sa manière. (M. Bouis.)
La Narcêine est la substance soporifique par excellence ; mais, au réveil, les animaux reviennent très-vite à l'état naturel.
La Morphine procure un sommeil lourd avec maux de tête,
La Codéine produit un sommeil plus léger sans maux de tête.
Les alcaloïdes de l'opium peuvent être ainsi rangés d'après l'ordre d'excitabilité :
Thébaïne, papavérine, nareotine., codéine., morphine, nareéine.
Enfin, quant à leur action toxique, on les range d'après l'ordre suivant : -
Thébaïne, le plus actif; codéine, papavérine, narcéine, morphine et nareotine.
Nous avons vu que les opiums ne contiennent pas tous la même proportion de morphine ; • que leur richesse varie de 2 à 15 p. 400. Elle dépend delà variété de pavot du moment de la récolte, du mode de préparation et de la pureté du produit.
Les auteurs du nouveau Codex ont fixé la proportion normale de morphine que doit contenir un opium officinal. On comprend toute l'importance de cette décision, sans laquelle les préparations à base d'opium pourraient varier de mode d'action, dans chaque pharmacie,
Le titrage d'un opium est l'opération qui consiste à déterminer la quantité de morphine que 100 grammes de cet opium renferment.
Plusieurs procédés sont employés à cet effet ; celui de M. Guillermont, un peu modifié, est le plus suivi. Voici en quoi il consiste :
On prend 10 grammes d'opium au degré d'hydratation voulu (8 p. 100 d'eau), on le traite par 40 centimètres cubes d'alcool à 71 degrés; lorsque la solution est complète, on la jette sur une petite toile; on répète, sur le résidu, trois fois ce même traitement, de manière à employer 100 centimètres cubes d'alcool à 71'. On filtre dans un flacon à large ouverture dans lequel on a ajouté 3 grammes d'ammoniaque, et on agite à plusieurs reprises.
Après vingt-quatre heures de repos, on décante la liqueur, on détaché les cristaux avec une baguette; et, après les avoir placés sur un filtre, on les lave d'abord avec de l'alcool à 40° Centigr.
Dès que le filtre est bien desséché, on y ajoute une petite quantité d'éther, pour bien mouiller la morphine; puis on lave avec du chloroforme, qui dissout tous les autres alcaloïdes et laisse la morphine sur ]e filtre; on dessèche, à une basse température, et on pèse le produit.
Il faut avoir soin de mettre un filtre double. Ce second filtre, qui a subi le même traitement que celui sur lequel se trouve la morphine, est destiné à lui faire équilibre dans la pesée.
Les préparations dans lesquelles entre l'opium sont nombreuses.
Nous indiquerons la masse de Cynoglosse, la Thériaque, le Mithridate, le Diascordium, qui, pendant des siècles, ont joui d'une réputation telle, que quelques-unes de ces préparations se faisaient avec grande pompe, sous les yeux mêmes du chef de l'État,
L'opium forme la base du Laudanum de Sydenham. Ce célèbre médecin anglais (1624— 1689), qui en a donné la formule, disait : « Entre tous les remèdes dont le Dieu tout-puissant a fait présent aux hommes, il n'en est pas de plus universel ni déplus efficace que l'opium.
Ce remède est si nécessaire à la médecine, qu'elle ne saurait absolument s'en passer ; et un médecin qui saura la manier comme il faut fera des choses surprenantes. »
L'opium entre également dans le Laudanum de l'abbé Rousseau, médecin de Louis XIV. La formule qu'il en donna fut presque immédiatement modifiée par Baume.
En 1818 la formule de Baume fut inscrite au codex; elle disparut en 1837, et aujourd'hui elle figure de nouveau dans le codex de 1866.
Qu'il nous soit permis d'ajouter ici, comme incident curieux, que les anciens attribuaient au pavot des propriétés nutritives.
Virgile parle du pavot nourricier (vescum papaver), Nous voyons, dans Horace, la graine de pavot, mêlée au miel., figurer comme entremets.
D'après l'histoire, les semences de pavot blanc ont été usitées de tout temps comme aliment, en Perse, dans la Grèce et en Italie. Tournefort rapporte qu'à Gênes les dames mangent ces graines recouvertes de sucre. Suivant Matthiole, on les mêle en Toscane à des pâtisseries qui portent le nom de papaverata,
Les oiseaux en sont très-friands. Elles n'ont rien de narcotique; et l'on sait que l'huile d'œillette est extraite des semences du pavot noir,
Si maintenant nous considérons l'usage de l'opium, nous verrons ce puissant agent thérapeutique employé sous toutes les formes, pour calmer les douleurs les plus vives, provoquer le sommeil, aider à la guérison de certaines maladies, et surtout, pour servir de palliatif aux maux incurables.
D'autre part, il est encore" un effet qu'amène l'usage prolongé de l'opium, effet extraordinaire, en tous points comparable à celui que produit le hachisch, et que recherchent avec ardeur les Orientaux : c'est cette sorte d'ivresse, si mêlée de charmes, qui tient l'esprit en suspens entre la veille et le sommeil, et, pour ainsi dire, entre, la vie,et la mort.
C'est le moment singulier où les sens et les facultés intellectuelles, prenant un développement inaccoutumé, atteignent le point le plus élevé du possible; ce moment où, quittant la réalité pour le rêve, l'homme semble emporté par un essor divin.
Là, toute souffrance s'éteint, tout souvenir douloureux s'efface ; la satisfaction la plus complète, le bonheur céleste est atteint : c'est l'hallucination, c'est l'extase!
Cependant, à cette fantasmagorie du bonheur, succède bientôt la triste réalité. Cette réaction est terrible : le regard s'éteint; une pâleur livide succède à l'animation du visage; lus sens s'affaiblissent d'autant plus que la surexcitation qu'ils viennent d'éprouver a été plus violente; et le malheureux mangeur ou fumeur d'opium arrive à un état presque complet d'idiotisme, qui dure jusqu'à ce qu'une nouvelle dose de ce poison l'en fasse sortir.
L'homme le mieux constitué ne résiste pas longtemps à ces alternatives d'exaltation et d'anéantissement : il vieillit vite; ses cheveux blanchissent, et ses mains tremblent avant l'âge; et il touche à la caducité, alors que les facultés dont la nature l'a doué devraient être dans toute leur force.
Si tels sont,sous le rapport de la jouissance, l'usage et l'abus de l'opium, que dire de l'emploi qu'en sait faire une main criminelle, quand elle le verse, à dose toxique, dans une coupe d'où ne peut sortir que la mort?
Mais, il serait injuste de condamner aucun des dons de la nature, sous prétexte qu'on en peut abuser. L'homme 'doit se servir pour le bien et non pour le mal, des-ressources que la terre lui prodigue si libéralement.
Quant à nous, pour ne pas sortir du sujet qui nous occupe, et, confiant dans la sagesse de la France, nous aimons à exprimer ici le vœux que la plante, sur la culture et le produit de laquelle nous avons essayé de dire quelque chose, se répande et se naturalise de plus en plus, sous le ciel de notre beau pays.
Vu, E. BAUDRIMONT.
Vu, bon à imprimer,
Le Directeur,
BUSSY.
Vu et permis d'imprimer,
Le Vice-Recteur de l'Académie de Paris,
A. MOURIER,
27495 — Imprimerie Renou et Maulde, rue de Rivoli,